Le ministère de l’impossible

ministère de l'impossible livre

Quatrième de couverture : « 

Tenir tête aux pollueurs… Protéger les rivages, les rivières, l’air, le sol, le sous-sol de la cupidité des industriels et des constructeurs… Bâtir des villes qui soient belles et supportables… Lutter contre le bruit… Est-ce supportable par l’économie d’un pays qui a déjà bien du mal à réussir son industrialisation ?… 

C’est possible et c’est même indispensable, répond Robert Poujade. La société libérale est en train de jouer son avenir sur la question de savoir si elle résoudra ou non le problème de l’environnement et de la protection de la nature. Mais ce ne sera pas là tâche facile. Robert Poujade le sait, qui a créé en janvier 1971, à la demande de Georges Pompidou, le ministère de la Protection de la nature et de l’Environnement, devenu ministère de la Qualité de la vie.

Un livre de Robert Poujade

Pendant un an, il s’est tu. Aujourd’hui, il raconte son expérience, son combat pendant trois ans contre l’esprit de lucre des uns, la négligence, la routine ou l’égoïsme des autres. Son combat contre l’industrie privée bien sûr, mais aussi contre l’inertie de l’administration, jalouse de ses prérogatives et de ses traditions ; contre les
entreprises publiques, comme l’E.D.F. qui plante « autoritairement ses pylônes aux plus mauvais endroits ».

Ce que Robert Poujade raconte dans son livre, c’est l’aventure étonnante et par bien des côtés inquiétante de ce « ministère de l’impossible » qui dérangeait trop de gens pour qu’on lui donne tous les moyens d’agir.

Né en 1928 à Moulins (Allier), Robert Poujade est normalien et agrégé de Lettre>. Sa carrière politique débute en 1949, lorsqu’il devient secrétaire national des étudiants R.P.F. En 1968, il est secrétaire général de l’U.D.R. Élu député de la 1ère circonscription de la Côte-d’Or en 1967, il est réélu l’année suivante puis 1973. Conseiller général de Dijon-ouest, il est, depuis 1971, le maire de la ville.

Il a été ministre de la Protection de la Nature et de l’Environnement, de janvier 1971 à mars 1974

Avant-propos

« Parler de l’environnement, c’est parler de notre société, à la recherche d’elle-même »
R. P. commence par rejeter la vertu de modèle de la société américaine. La spécificité européenne est de « tempérer » socialisme et libéralisme « l’un par l’autre ». Face aux questions d’environnement, « aux problèmes de cadre de vie », les partis politiques sont « mal à l’aise ». « Une des raisons principales de ce livre est de montrer que l’environnement ne se réduit pas à la nature ».
Le machinisme se répand et affaiblit le principe vital de la société. « La France… est parvenue à la croisée des chemins. Elle a abîmé une partie de son patrimoine, mais … préservé l’essentiel… Il s’agit d’aménager la France de demain, de lui donner des paysages neufs. »

I Naissance d’un ministère

Les progrès technologiques sont énormes. L’homme a marché sur la Lune. « N’est-ce pas un paradoxe que de mettre en garde contre la dégradation du milieu de vie, contre l’épuisement de la terre au moment où l’homme paraît affirmer sa maîtrise de la nature … ? »

Mais nous avons découvert la fragilité « de la pellicule de vie qu’on appelle la biosphère… En vingt ans, les fleuves français ont été pollués, quelques uns des plus beaux paysages français ont été dégradés, … en un quart de siècle une grande partie de notre faune sauvage a disparu. » Mais le pire « c’est la détérioration de l’image et de l’âme de la ville. »

Ceux qui pâtissent des « maladies de la civilisation », des « maladies de l’environnement » sont les « petites gens », qui ne peuvent se sauver sur les plages de Floride ou d’ailleurs.

« Nous sommes témoins des effets redoutables d’une disproportion de plus en plus accusée entre les ressources naturelles et les besoins… » Nous gaspillons souvent des ressources « dont le coût social est infiniment plus élevé que le coût apparent ( par exemple une forêt près d’une ville…). »

« La création du ministère de l’environnement a été une surprise pour l’administration française… il remettait en cause … toutes les certitudes des ministères traditionnels… Un ministre de l’environnement … devait déranger, et un homme qui dérange en politique est… en danger. … Chaque mois, chaque semaine…a été un combat…. Ce que le public n’imagine pas, ce sont les capacités de blocages et la force d’inertie des administrations… La classe politique [opposition et majorité] a montré, à l’égard de ces problèmes …une solidarité de fait dans la méconnaissance ou la négligence. »

« Une bonne politique de l’environnement, parce qu’elle épargne le gaspillage des biens essentiels et précaires, parce qu’elle évite leur accaparement, … est une des formes les plus… modernes d’une politique sociale… et … c’est une politique intelligente… de la croissance… elle implique la rupture avec des habitudes de pensée, d’administration et… de production. »

« Quels furent les sentiments des Français lorsqu’ils apprirent… la naissance du ministère de la Protection de la nature et de l’Environnement ?… le second terme ne leur dit rien dut tout. » le premier Ministre, « Jacques Chaban-Delmas subodorait l’intérêt politique de cette création. Les problèmes du cadre de vie lui paraissaient mériter attention. » Le Président, Georges Pompidou dit à Robert Poujade, à sa prise de fonction : « Vous n’aurez pas beaucoup de moyens. Vous aurez peu d’action très directe sur les choses… vous créerez un état d’esprit. »

1917 loi sur les établissements classés insalubres et dangereux
1960 loi créant les parcs nationaux

1962 création au ministère de l’agriculture d’une division de la protection de la nature, qui deviendra direction générale en 1970.
1964 loi sur l’eau
1966 à la DATAR, S. Antoine anime la réflexion de quelques fonctionnaires, en liaison avec L. Armand.

« Il nous fallait en propre un minimum de services ». Difficilement, les transferts suivants furent décidés :
venant de la DATAR, le secrétariat permanent pour l’étude des problèmes d’eau :

  • venant de l’Agriculture, la direction générale de la protection de la nature ( mais pas l’ONF)
  • venant de l’Industrie, le contrôle des installations classées
  • venant de la Culture, les sites naturels.

Décret d’attribution le 2 février 1971, avec objectif de concilier « la croissance économique et l’épanouissement de la qualité de la vie ».

« le mot environnement était indéfinissable pour la plupart des Français. C’était un avantage… car on en appauvrissait le sens à vouloir trop le définir… Le grand danger était que l’environnement n’apparût comme éphémère…

J’ai mis tout de suite, résolument, l’accent sur la lutte contre les pollutions et les nuisances… d’abord pour… obliger mon équipe à la rigueur scientifique et à l’action concrète…

Ceux qui comprenaient le mieux… étaient des écologistes… Dorst… Aguesse… toute l’équipe de la Société de Protection de la Nature (SNPN)… L’écologie… est une science… [qui] permet de savoir que toute modification du milieu peut avoir des conséquences en chaîne…

Il faut reconnaître que l’imprégnation écologique conduit facilement en matière de protection de l’environnement à l’intégrisme, au radicalisme ».

Certains « ont … tendance à oublier … que l’homme est homo faber, voué à l’industrie… Je redoute l’environnement-immobilisme ».

Donc, innovation. Et comment réagit l’administration :
« 
négative : ça ne peut pas réussir !
agressive : ils ne faut pas qu’ils réussissent !
intéressée : comment pourrais-je réussir avec eux ?
possessive : comment réussir à les récupérer ?

La réaction la plus fréquente est l’expectative : on verra bien s’ils réussissent. »

« La politique de l’environnement devait passer par tous les ministères. »

R. Poujade fait un long éloge des ingénieurs des Mines et décide « donc de leur confier systématiquement le contrôle des établissements classés… » Idem pour les IGREF, même si « beaucoup d’entre eux n’ont pas fait de zèle dans la lutte contre les pollutions… à la campagne. » Il est plus mitigé vis à vis des IPC, dont « la susceptibilité était vive ».

Création de délégués régionaux de l’environnement « chargé de mission d’inspection générale » pour « être … la conscience environnementale auprès des décideurs locaux… leurs seules armes étaient la lettre de mission… rédigée en termes très généraux, et surtout leur propre conviction et leur rayonnement personnel. »

Création d’une inspection générale de l’environnement, les membres restant attachés à leur corps d’origine.

Création d’une Comité Interministériel d’Action pour la Nature et l’Environnement (CIANE).

Volonté de créer des bureaux de l’environnement dans les préfectures.

« Des milliers de correspondants … me demandaient de nettoyer un méandre de ruisseau, de sauver le grand tilleul de la petite place du village, ou d’empêcher le chien du voisin d’aboyer… goût tenace de la centralisation chez les Français, leur rêve de médiation au sommet, l’incapacité de l’administration locale à régler des affaires simples, ou même à s’y intéresser. »

Diverses décisions de principe : possibilité de créer des taxes sur les pollutions, introduction de l’environnement dans les programme d’éducation, obligation de collecte des ordures ménagères, …

De premières actions : une mission pour la protection de l’espace naturel méditerranéen, un programme de protection de l’environnement de Fos et de Berre,…

Création d’un conseil de la recherche scientifique sur l’environnement.

Organisation en trois directions d’objectifs : pollutions et nuisances, nature et espaces naturels, cadre de vie.

II Le temps de l’action

« La bataille de l’eau »

Depuis que l’eau arrive au robinet, on ne l’économise plus, on la gaspille et on s’étonne de devoir la payer. L’outil des agences de l’eau était totalement mobilisé pour la construction de stations d’épuration. Leur compétence fut étendue (« dépôts d’ordures au bord des rivières, élimination des huiles usées »). Lancement des opérations « rivières propres ».

Et la pollution des mers : au sein de l’Etat « qui est responsable de la mer, la réponse.. : tout le monde et personne… six ministères contemplaient l’eau sale… ».

Diverses mesures : « création d’un réseau d’observation général du milieu marin », interdiction de rejet en mer d’effluents non traités, … « Il nous faudrait un service comparable aux garde-côtes.. .des Etats Unis ».

Pollution de l’air : SO2, CO, oxyde d’azote, poussières,… Effets certains sur la santé : lancement de nombreuses recherches, « développement systématique d’un réseau de contrôle de la qualité de l’air », réglementation des cimenteries, des usines d’incinération d’ordures ménagères, de la teneur en soufre des fiouls, programme d’action pour lutter contre les nuisances de l’automobile…

Déchets : « chaque Français rejette des Kg d’ordures ménagères par jour… aucune administration n’avait encore attaqué le problème de front » Elaboration d’un projet de loi.

Bruit : « je tiens le bruit pour un des pires fléaux sociaux… pourtant c’est de toutes les nuisances la plus mal connue… La gène provoquée par un bruit est essentiellement subjective… » Et tout le monde provoque du bruit.

Dur, donc. Mais quelques actions : réglementation bruit des engins de chantiers ( mais difficultés au regard du commerce international), accord avec les constructeurs automobiles, circulaire sur le bruit des motos « vertes », création d’un label confort accoustique en HLM, maîtrise de l’urbanisation autour des aéroports, création d’une redevance par passager partant d’Orly ou Roissy, sortie d’un guide du bruit pour la construction des routes (« 15 % de la population urbaine française serait… soumise, du fait de la circulation automobile, à des bruits supérieurs à 65 dB… »),…

Paysage : « Il n’y a dans un pays de vieille civilisation comme la France… qu’un nombre infime de paysages qui n’ont pas connu l’intervention de l’homme…. L’évolution normale des paysages n’est pas la fidélité au présent ou au passé. Le paysage est un objet d’usage…. Il existe certes des lieux d’une si grande beauté que nous avons le devoir de les conserver sans aucune modification, et des paysages au caractère si affirmé que l’architecture doit se faire modeste et discrète… Mais, dans de nombreux sites, des ouvrages humains constituent une composante du paysage parmi d’autres ; le problème est qu’ils restent en harmonie….Dans d’autre lieux enfin, l’ouvrage artificiel crée véritablement le paysage… »

« …concevoir une politique dynamique du paysage, comme l’est le paysage lui-même… entre la tentation du conservatisme et celle du laisser faire… Paysage bien collectif, non susceptible d’appropriation… s’appuyer sur de sérieuses études… le paysage qui a d’ailleurs lui-même une composante écologique… »

Il crée le CNERP (Centre National d’Etude et de Recherche sur le Paysage), les Ateliers Régionaux des Sites et des Paysages.

Nature : « S’il est une responsabilité dont je garderai la nostalgie, c’est celle des parcs nationaux et régionaux français… J’ai rêvé de retrouver les paradis perdus et de maintenir sur l’ancien continent des espaces privilégiés »

« Le système des trois zones concentriques : réserve, parc, zone périphérique… correspond à la réalité géographique et sociale » Mais de vraies difficultés avec le malentendu de la majorité des Français pour lesquels un parc national n’est qu’un grand parc animalier. « Je crois que le parc national, si les gens des Cévennes en font leur chose, contribuera efficacement à sauvegarder la noblesse d’un cadre et d’un milieu humain… »

« Un Parc Naturel Régional est bien différent d’un parc national. Tout au plus pourrait-on rapprocher sa conception de celle des zones périphériques… Un parc régional c’est une zone rurale et forestière qui, par la qualité de ses paysages, de son cadre, de ses monuments naturels et culturels, mérite d’être protégée, aménagée sans saccage, soustraite à l’urbanisation massive… Le parc régional doit se faire par lui-même, et il doit être soutenu économiquement par la région… Parfois une longue réflexion s’impose… C’est aux gens du pays à décider ou à se décider… Parcs… sans autre interdit sue celui-ci : ne pas gâcher l’héritage d’une harmonie rare entre la nature, les monuments et les hommes. »

Ces parcs, nationaux et régionaux, offrent des services qu’il est normal que les visiteurs contribuent à financer.

Mais « Ce n’est pas parce que nous avons sauvegarder ici et là des écrins de paradis que la protection des espaces naturels est assurée… »

Cette politique « doit déboucher sur un effort plus global de protection de la nature… C’est au niveau de chaque département, de chaque commune, que l’on devrait essayer de maintenir une présence de nature »

« La nature vierge, où est-elle en France ? »

Deux catégories d’hommes ont œuvré pour préserver la nature : les naturalistes (créant des réserves naturelles) et les chasseurs (créant des réserves de chasse : cf Combeynot, Bauges, …).

1946 création du Conseil national de Protection de la Nature (CNPN)

« … immense ignorance écologique du public français… »

Il préconise une loi fondée sur « deux idées : la protection de la nature est d’intérêt général et tout grand projet doit être précédé d’une étude de ses conséquences sur la nature » [NB :ce sera la loi de 1976]

Paradoxalement, la protection des animaux est à la mode.
« Je sais bien que la chasse est un sujet qui exacerbe les passions »
 1er constat : une insuffisance voire absence de connaissances et d’études sur la faune. D’où lancement d’un programme par l’INRA.
 2ème constat : « l’éducation cynégétique de beaucoup de chasseurs était nulle » D’où le projet d’un examen de chasse.

Il réforme le Conseil Supérieur de la Chasse (« un club de hauts notables de la chasse ») pour mélanger scientifiques et chasseurs dans le Conseil national de la Chasse (avec pour première tâche de créer des réserves de chasse sur le littoral pour protéger les oiseaux migrateurs) et crée l’ONC.

« En un siècle, … déclin de notre faune sauvage : la modification des cultures, le remembrement, la disparition des couverts, la multiplication des routes, l’assèchement des marais, l’emploi des pesticides, le perfectionnement des armes, la prolifération des chasseurs… Je reste très inquiet pour l’avenir ». Il faut trouver « le moyen de réduire le nombre de chasseurs… Si la chasse perd son caractère sportif, si elle n’est pas fondée sur la connaissance de la nature et du gibier, sur l’effort, sur l’absence de tout intérêt lucratif, elle méritera bien son destin, car elle disparaîtra ».

En revanche excellente relations avec les pêcheurs, alliés face à la pollution des rivières.

« Une bonne organisation de la chasse et de la pêche… est favorable au maintien du gibier, et en définitive au maintien de la vie »

La ville : « La ville c’est l’environnement quotidien pour 67 % des Français et ce le sera pour 80 % en l’an 2000… Qu’est-ce qui rend une ville agréable ? »

Et, en tant que maire, confronté au réel, R. Poujade montre la difficulté de faire la ville. Il en revient « à quelques idées simples » :

  • créer de grandes zones vertes autour des villes, des « zones naturelles d’équilibre » ;
  • aider financièrement et techniquement des villes à mener des actions modèles mais frappantes (cheminements piétonniers,…).

Le ministère s’est déployé pour arrêter ou faire modifier divers projets d’aménagements ou d’infrastructure. « Nous avons bénéficié… d’une aide… celle du réseau que constituaient les associations de protection de l’environnement… Nous avons été dans la nécessité de traiter beaucoup trop d’affaires au niveau du cabinet… le plus souvent cela aurait dû être fait au niveau local… un peu plus de courage… des décideurs …, chefs de services départementaux ou élus locaux, aurait suffit. ». Il a donc fallu se battre contre les constructions en forêt (qui la détruisent rapidement), contre les stations démesurées en montagne (mais sans pouvoir « imposer la notion de seuil écologique dans la détermination de l’ampleur des équipements »), contre le bétonnage du littoral voire de la mer (via les concessions d’endigage),… Il faut modifier les procédures d’enquête publique. Il demande une loi pour protéger le littoral et la création d’un outil foncier [NB : ce sera le conservatoire du littoral créé en 1975]. Il en retire quelque amertume :

  • faiblesse de l’Etat face aux intérêts privés
  • lutte souvent solitaire-

Mais aussi le sentiment d’avoir « fait reculer le vandalisme » Pour les autoroutes, il obtient d’être consulté dans les instructions mixtes, et en amont des projets.

Pour les politiques industrielles, R. Poujade a choisi le dialogue, branche par branche, et la mise au point de normes. « Sous tous les régimes, capitalistes ou socialistes, la lutte systématique contre les pollutions est un effort récent » Mais il ne faut pas jeter la pierre à des industriels qui ont investi pour le pays, en respectant des normes aujourd’hui dépassées. R. Poujade se dit « convaincu que l’Industrie saura intégrer la lutte contre les nuisances… ». Il faudra développer des techniques, en baisser les coûts, … Il décide « d’établir des programmes fondés sur des contrats entre l’Etat et des branches de l’Industrie privée, sur la base de la loi de 1917 sur les établissements classés : fabricants de pâtes à papier, sucreries, distilleries, … »

Il rejette le coté Janus d’EDF : voiture électrique devant, centrales polluantes et THT n’importe-où derrière. « Il est regrettable qu’en matière nucléaire, le CEA et l’EDF soient constamment juges et parties ». Il considère qu’il faut « provoquer une consultation approfondie sur les conséquences écologiques de l’implantation des grandes centrales [nucléaires]. Si cet effort n’est pas fait, des années de doute et de démagogie risquent de s’ensuivre. »

III Une certaine idée de la croissance

Discours du pt de la République G. Pompidou, le 28 février 1970 (Chicago) : « Il faut créer et répandre une sorte de morale de l’environnement, imposant à l’Etat, aux collectivités et aux individus le respect de quelques règles élémentaires faute desquelles le monde deviendrait irrespirable. »

L’environnement « problème éthique, problème de civilisation… L’action pour l’environnement [doit] reposer sur une véritable éducation morale et civique. » R. Poujade cite « Giraudoux, grand précurseur en matière d’environnement. » Se référant à Péguy, il indique que « dans ce ministère… le mystique a été le support de l’action ». Il parle de « ferveur », d’« enthousiasme moral ». Il faut conduire les jeunes Français « à la réflexion sur les rapports de l’homme et de la nature ». Mais « l’Education Nationale est une sorte de Diplodocus » et, malgré diverses initiatives, R. Poujade en garde une « impression désagréable de piétinement ».

Par ailleurs « l’action pour la protection de l’environnement est une école de démocratie… Nous avons besoin de citoyens…Faire entendre les minorités… Faire participer les intéressés à la transformation de leur cadre de vie ».

Il faudrait « confier une fonction de consultation et d’arbitrage à des experts incontestés auxquels pourraient faire appel les associations, comme les collectivités et les administration. » Il évoque divers niveaux de débat et d’action dont le quartier et la région.

« La nécessité d’une coopération internationale s’impose. » Il fait d’abord rapidement le tour des capitales européennes pour nouer « des relations personnelles confiantes ». Si l’Allemagne et le Royaume uni s’étaient bien organiséss, ni l’Espagne, ni l’Italie n’avaient d’administration chargée de l’environnement. La Suède était un exemple remarquable :

  • maîtrise précoce des sols 
  • concertation étroite entre les responsables de l’environnement et les industriels », avec instituts de recherche public/ privé ( cf l’eau)
  •  urbanisme respectant la charte d’Athènes (« séparation des circulations, cheminements piétonniers »…) -

« mais … les Etats-Unis apparaissaient encore la Mecque de l’Environnement… et l’agence fédérale pour l’environnement comptait plus de 10 000 fonctionnaires… son budget s’élevait à 12 milliards de dollars… Une politique ambitieuse avait été définie… par un recours systématique à la méthode des défis… : l’Etat fixant par voie autoritaire des normes incompatibles … avec les données présentes de la technologie… à respecter dans [des]délais… Cette incitation à la modernisation était particulièrement vigoureuse ».

Le nombre d’organismes internationaux s’intéressant à l’environnement croît sans cesse . Ceci surcharge le travail, monopolise les experts, et nuit à l’efficacité.Juin 1972 conférence de Stockholm « réunir l’ensemble des gouvernements de la Terre pour s’entretenir d’environnement » avec quatre thèmes :

  • aménagement des établissements humains, 
  • gestion des ressources naturelles,
  • détermination des principales causes de pollution,
  • relations de l’environnement avec le développement. 
  • aménagement des établissements humains,
  • gestion des ressources naturelles,détermination des principales causes de pollution,
  • relations de l’environnement avec le développement. 

La conférence « marquait une prise de conscience universelle des problèmes d’environnement… a ébauché les principes d’une nouvelle éthique internationale ».

Février 1972 mémorandum français à l’Europe, invitant les pays membres à une action commune. La commission proposa un travail de règlementations communautaires.

R. Poujade engage un travail international pour limiter les rejets et les pollutions dans la Méditerranée et dans le Rhin.

« Nécessité d’intégrer les coûts externes pour faire une bonne politique de l’environnement. »

Alfred Sauvy : « les nuisances résultent de fautes de comptabilité »

« la nature au sens large est en fait quasi absente de la théorie économique depuis Malthus et Ricardo… Comme le dit très bien A. Sauvy, nous avons longtemps considéré comme gratuits des biens qui n’étaient pas gratuits, comme l’air, l’eau, l’espace… On oublie d’intégrer des éléments essentiels du bilan, des coûts imposés à la collectivité sans même qu’elle s’en aperçoive… Toute action pour l’environnement suppose un immense effort pour revenir à la vérité économique… en faisant payer ceux qui ne paient pas, c’est à dire les pollueurs » : taxe sur la valeur d’enlèvement des voitures, taxe sur les bouteilles plastiques, taxe sur la modification du régime des eaux, … « je n’ai pas eu beaucoup de succès. »

Parmi les critiques, celle-ci : « la redevance n’est elle pas une sorte de passeport pour polluer ? [non] le niveau des redevances doit être porté à un taux suffisant pour que l’effet d’incitation joue. …Mais j’ai constamment estimé qu’il fallait combiner le système des redevances et celui des normes… Qui doit payer ? le pollueur.. mais qui est le pollueur ? le producteur, l’utilisateur ? … »

« Reste à connaître ces… coûts externes. » D’où la création d’un groupe interministériel d’évaluation de l’environnement en 1972. « insuffisance des données statistiques »

Et les limites de la croissance ? R. Poujade renvoie aux réflexions de « Club de Rome », créé en 1968, et aboutissant en 1972 au rapport Meadows-Forrester du M.I.T., qui conclue sur « une menace dramatique sur l’humanité : … croissance en flèche de la population, … exploitation abusive des ressources naturelles… conduisent à un désastre écologique, à la dégradation de la biosphère… » Malgré les erreurs et les critiques sévères, « je resterai persuadé que le club de Rome a rendu service à l’humanité ». En 1973, la crise pétrolière est venue conforter les alarmes. Mais la société, le monde politique et industriel sont restés sourds.

« Mes choix : limiter le gaspillage de l’eau, de la mer, du temps, de l’espace, des paysages… Je les avais faits… en fonction d’une certaine idée de l’épanouissement de l’homme… Environnement et développement doivent aller de pair… Notre conception quantitative du progrès est immense. » La culture, la formation, l’égalité sociale font partie de la croissance. « Au fond de la croissance, il y a le problème économique et social ».

Bertrand de Jouvenel : « Avec notre mode de comptabilité, nous augmenterions le PNB en transformant les Tuileries en garage et Notre-Dame en immeuble de bureaux ».

Général de Gaulle, juin 1968 : « La civilisation est mécanique, ce qui veut dire qu’elle enlace l’homme… dans une espèce d’engrenage qui est écrasant… Comment trouver un équilibre humain pour la civilisation, pour la société mécanique moderne ? Voilà la grande question du siècle ! »

Il faut que les arbitrages soient ouverts et officiels, d’où l’intérêt d’un ministère de l’Environnement bien identifié qui pose les questions ouvertement. Et il doit inciter à la prospective, à la planification, et agir sur l’aménagement fin du territoire, permettant « un infléchissement qualitatif de la croissance » ?

R. Poujade propose donc de réunir dans un même ministère : le plan, l’aménagement du territoire et l’environnement.
Oui, si on le veut, et c’est le rôle du politique, « l’amélioration de notre cadre de vie, la protection des biens naturels… la sauvegarde de notre Terre » sont possibles.

Détails sur le livre

  • Broché : 278 pages
  • Editeur : Calmann-Lévy (1 janvier 1975)
  • Langue : Français
  • ISBN-10 : 270210052X
  • ISBN-13 : 978-2702100523

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